Laporte Jean-François – Soundmatters

23five Incorporated / Metamkine
www.23five.org

En véritable compositeur de musique concrète, Jean-François Laporte capte des sons d’engins et les modifie à l’aide d’autres appareils. Mais J.-F. Laporte est également un poète sonore qui a développé une esthétique austère et glacée, d’un genre, est-on généralement tenté de dire, plutôt indépendante de ses sources. Pourtant, celles-ci semblent capitales pour l’artiste, du moins en tant que guides. Le travail de Jean-François Laporte est très peu connu, car il est surtout représenté en festivals. On ne connaît de lui, avant ce disque, que le seul et magnifique Mantra, publié il y a quelques années par Metamkine, qui cristallisait cette beauté glacée de drone épais et tout à fait blanc neige. Cette longue pièce reprise ici avec d’autres a été composée à partir de sons d’un compresseur servant au refroidissement d’une patinoire. Le grain est épais, le rayon torsadé mais rectiligne. Son ‘’arcticité’’ n’a que peu en commun avec celle de Thomas Köner, dont la composition est toute en invocation abstraite du bourdonnement, du souffle, du vrombissement, de l’éclosion et du courant. Laporte est plus tellurique, en rapport direct avec sa matière. Soundmatters, le nom de cet album anthologique de Laporte, s’entend de deux manières complémentaires : les matières sonores et les questions liées au son. Ces questions sont en relation directe avec son service, elles sont l’interrogation du créateur manipulateur sur la façon de magnifier la source tout en la laissant apparente. Le grain dénonçant très vite sa nature concrète, est sculpté dans un tour minimal de drone et de résonance. Poésie froide, poésie grise, elle sonne parfois comme l’écho des réalisations d’Artificial Memory Trace, Michael Prime ou Marc Behrens. Les cinq compositions présentées ici, toutes issues de matrices différentes, montrent la délicatesse d’un artiste de l’intervalle. Les sons de vent de Electro-Prana sont superposés, atténués, augmentés, pour former une symphonie du souffle. L’unité de source est constitutive de la démarche de Laporte, il ne semble pas pouvoir assembler de pièce sans décliner, tisser, ramifier autour du thème d’élection. Cargo vide, vent, compresseur, voire un ensemble d’instruments à vent, la force de concentration permet la densité qui épaissit la libération, et la proximité de couleur entraîne le travail délicat de nuances proches, comme sur un camaïeu. La musique de Laporte interroge, telle un nouveau classicisme, après l’unité de source, sur son rayonnement dans le temps et l’espace. Dans ces jaillissements, la matière étonne alors, par ses propres réflexes miraculeusement accordés à une sensibilité poétique, par ses allongements, ses rétractations qui soufflent jusqu’en ondulations mélancoliques. C’est qu’elle porte l’empreinte presque invisible de celui qui la magnétise. D.B.

D.B.